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Culture et Philosophie

Échos philosophiques de la chanson « Les mots » de Mylène Farmer

Lors de l’atelier du 7 septembre 2021, nous avons exploré les échos philosophiques de la chanson « Les mots » de Mylène Farmer, dans le cadre de la série « Mylène Farmer et la Philosophie ».

Ce compte-rendu reprend les principaux points abordés lors de l’atelier. Il propose donc un éclairage du texte, et des propositions d’explorations.

Le pouvoir du langage

  • Dans « Les mots », Mylène Farmer souligne le pouvoir évocateur des mots, par exemple leur capacité à faire apparaître le souvenir d’un disparu : « Quand la bouche engendre un mort ».
  • Ce pouvoir d’évocation et de synthèse est théorisé, de manière plus prosaïque, par George Berkeley dans Des principes de la connaissance humaine : « une couleur, une saveur, une odeur, une figure, une consistance donnée qui se sont offertes ensemble à l’observation, sont tenues pour une seule chose distincte et signifiée par le nom de pomme. » Nous découpons, rassemblons les sensations, et finalement nous constituons le monde par notre langage.
  • C’est aussi ainsi que l’on peut entendre les paroles « Les mots sont nos vies ». Ce vers est peut-être mieux éclairé encore par l’article « L’identité narrative » de Paul Ricœur, qui décrit comment nous constituons notre identité par la manière dont nous racontons notre vie, entre histoire et fiction.

Le réel dépasse le dicible

  • Mais les mots peuvent se révéler insuffisants. Le langage, fini, ne permet d’exprimer qu’un ensemble limité de réalités et de sensations, même si cet ensemble est immense et en évolution constante.
  • Ainsi, dans « Dans les rues de Londres », Mylène Farmer, rendant hommage à Virginia Woolf, rappelle : « Réduire la vie à… / Des formules indécises / C’est bien impossible, elle / Tu vois, se nuance à l’infini ».
  • De même dans « Le Possible et le Réel », Henri Bergson souligne la « création continue d’imprévisible nouveauté » qui se produit dans le réel, celui-ci ne pouvant donc jamais être totalement anticipé, ni épuisé par les mots ou une quelconque théorie.

L’illustration par « Sans contrefaçon » du caractère limité du langage

  • Ces limites du langage, pris à un instant donné, trouvent une illustration dans la chanson « Sans contrefaçon », à travers la question du genre. Le langage courant actuel impose en particulier de choisir un genre : « Puisqu’il faut choisir / À mots doux je peux le dire / Sans contrefaçon / Je suis un garçon ».
  • Cette limitation du langage courant est bien sûr en lien avec les forces sociales. Dans Gender Trouble, Judith Butler l’analyse, en s’appuyant sur les travaux de Monique Wittig : «  les personnes ne peuvent pas être signifiées dans le langage sans la marque du genre ». Or la binarité du genre est construite ; la « nature » est pleine de nuances, au-delà du cas précis et fondamental des personnes intersexes : « Le genre est la stylisation répétée du corps, un ensemble d’actes répétés dans un cadre régulé hautement rigide qui se congèle au fil du temps jusqu’à produire l’apparence de la substance, d’une sorte d’être naturelle. »
  • Le langage apparaît alors comme l’une des composantes d’un dispositif qui binarise le genre, qui force à « choisir ».
  • Mais il n’est pas figé : le langage nous contraint, mais il est possible d’inventer des mots nouveaux, ou de nouveaux usages, pour nuancer, mieux comprendre.

Envie d’aller plus loin ?

Si vous souhaitez allez plus loin au sujet de la chanson « Les mots » de Mylène Farmer, vous pouvez réserver une séance particulière. Je vous enverrai les textes philosophiques sur lesquels nous nous sommes appuyés. Nous pourrons ensuite en discuter lors d’un échange téléphonique individuel de 15 minutes.

Votre première participation à un événement, atelier, conférence ou séance individuelle est offerte. Voir tarifs et conditions.

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Références des textes cités

  • Mylène Farmer, « Les mots », best-of Les mots, Requiem Publishing, Polydor, 2001.
  • Mylène Farmer, « Dans les rues de Londres », album Avant que l’ombre…, Stuffed Monkey, Polydor, 2005.
  • Mylène Farmer, « Sans contrefaçon », album Ainsi soit je…, Bertrand Lepage, Polydor, 1987.
  • George Berkeley, Des principes de la connaissance humaine, traduction de Dominique Berlioz, Aubier, première partie ; repris par Gérard Chomienne, Lire les philosophes, Paris, Hachette Éducation, 2004, p. 262-264.
  • Paul Ricœur, « L’identité narrative », dans la revue Esprit, numéro 140/141, juillet/août 1988, p. 295.
  • Henri Bergson, « Le Possible et le Réel » [1930], dans La Pensée et le Mouvant, Paris, Presses Universitaires de France, 1938, p. 99-100. Disponible librement sur Wikisource.
  • Judith Butler, Gender Trouble [1990], New York, Routledge, coll. Routledge Classics, 2006-2007, « I. Subjects of Sex/Gender/Desire », p. 29-30, 45-46. Traduction personnelle.

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