Cette synthèse traite du chapitre III de la seconde partie du livre II de La Recherche de la vérité de Nicolas Malebranche.
Nous examinons ce passage sous l’angle de la question : Pourquoi tend-on à trop s’appuyer sur les travaux des anciens, et quels en sont les risques ?
Les « personnes d’étude » sont les plus sujettes à l’erreur
- Malebranche constate que les « personnes d’études », c’est-à-dire les experts, les spécialistes, « font plus d’usage de leur mémoire que de leur esprit » (p. 211).
- Dès lors, s’ils prennent un mauvais chemin au départ, ils font de plus en plus d’erreurs au fur et à mesure de leur progression.
- Le chemin pris peut être de deux types : la lecture de livres, qui les conduit à mémoriser les systèmes de pensée des « Anciens » ; ou la construction d’un « système chimérique […] duquel ils s’entêtent ». Dans ce second cas, ils font initialement œuvre de création, mais il s’obstinent généralement ensuite à défendre leur système, plutôt que de garder leur esprit ouvert à la critique.
- Nous allons examiner ici plus en détail l’approche par la lecture, qui semble absurde à Malebranche : pourquoi se laisser guider par d’autres quand on a soi-même un esprit qui permet de réfléchir ?
Onze raisons qui font que l’on préfère s’appuyer sur les travaux des anciens
- La paresse d’abord : il est plus facile de reprendre le travail des autres.
- L’incapacité ensuite, puisque l’on n’a pas été assez entraîné dans sa jeunesse à réfléchir par soi-même.
- « Le peu d’amour […] pour les vérités abstraites » (p. 212), alors que ce sont, selon Malebranche, les seules connaissables, puisque le reste est soumis au changement et ne peut être connu avec certitude.
- La satisfaction reçue, au contraire, de connaissances concernant le monde sensible, qui ne sont que des « vraisemblances » selon Malebranche.
- La vanité « qui nous fait souhaiter d’être estimés savants », sachant que l’ « on appelle savants ceux qui ont le plus de lecture », et que, de plus, il est plus utile pour la conversation de connaître les opinions des uns et des autres plutôt que « la véritable philosophie ».
- L’idée non fondée selon laquelle « les Anciens » étaient meilleurs que nous et qu’ils ont tout trouvé.
- L’admiration plus grande pour les choses les plus lointaines ou les plus obscures, et ce alors qu’ « Aristote, Platon, Épicure étaient des hommes comme nous » et « qu’au temps où nous sommes, le monde est plus âgé de deux mille ans, qu’il a plus d’expérience » (p. 213).
- La crainte, lorsque l’on estime un contemporain, que sa « gloire éclipse la nôtre », ce qui ne se pose pas avec les anciens, avec lesquels nous ne sommes pas en concurrence.
- La confusion entre vérités de raison et vérités de tradition ou de foi, qui conduit à ce que la nouveauté soit considérée comme synonyme d’erreur, voire de sacrilège, y compris dans les premières.
- Le caractère majoritaire des opinions anciennes, et la difficulté de tenir bon face à la foule.
- La tendance des hommes à poursuivre les honneurs, qui sont attachés à l’étude des anciens.
Conséquences de la révérence excessive envers les anciens
- Cette pratique rend impuissant à faire usage de son esprit, par manque de pratique. En effet, la plupart de ceux qui lisent les textes anciens cherchent essentiellement à entrer dans la logique de l’auteur, à le comprendre, plutôt qu’à utiliser son travail pour vraiment connaître des vérités. En conséquence, « ce sont plutôt des historiens, que de véritables philosophes » (p. 215).
- Plus grave, lorsque l’on lit sans examiner ce que l’on lit, et que l’on retient ces différentes idées, parfois contradictoires entre elles, cela embrouille l’esprit et le rend ainsi « faible, obscur et confus ».
- Au contraire, pourtant, « il est très utile de lire, quand on médite ce qu’on lit, […] quand on use de sa raison ».
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Édition de référence
- Malebranche, De la Recherche de la vérité [1675-1710], livre II, seconde partie, chapitre III et début du chapitre IV, dans Œuvres, tome I, sous la direction de Geneviève Rodis-Lewis, Paris, Gallimard, collection Bibliothèque de la Pléiade, 1979, p. 210-215.