Lors de l’atelier du 10 août 2021, nous avons exploré les échos philosophiques de la chanson « Du temps » de Mylène Farmer, dans le cadre de la série « Mylène Farmer et la Philosophie ».
Ce compte-rendu reprend les principaux points abordés lors de l’atelier. Il propose donc un éclairage du texte, et des propositions d’explorations.
Le temps, lié à la mort pour Mylène Farmer
- Le problème du rapport au temps renvoie à la conscience de notre finitude, et donc à la mort. Ainsi Mylène Farmer cherche-t-elle, dans « Du temps », un « antidote au pire », et plus précisément « L’anti pas mourir ». On peut entendre ce dernier comme un remède à l’obsédant « je ne veux pas mourir ».
- Dans ses textes, le lien entre le temps et la mort est intime, et fréquent. L’idée est que l’on peut, d’une certaine manière, la percevoir à chaque instant. Ainsi, dans la chanson « Retenir l’eau », Mylène Farmer évoque l’espoir de « Retenir l’eau / Qui est dans sa paume » mais qui « […] s’échappe / Goutte à goutte » : ces « Gouttes de vie / […] tombent et coulent ».
- On peut mettre cette idée en lien avec la première des Lettres à Lucilius de Sénèque. Il y affirme que l’on « meurt un peu chaque jour », alors qu’habituellement « nous ne voyons la mort que devant nous ». En fait, chaque seconde passée est définitivement passée.
Relativité du temps perçu
- Pour échapper au caractère inflexible du temps, on peut être tenté de s’appuyer sur sa relativité. Celle-ci le fait s’écouler plus ou moins rapidement pour nous selon les circonstances.
- Dans « Si j’avais au moins… », par exemple, Mylène Farmer souligne que « Qui n’a connu / Douleur immense / N’aura qu’un aperçu / Du temps » : dans l’épreuve, « L’aiguille » de l’horloge est « lente ».
- Henri Bergson propose, dans son Essai sur les données immédiates de la conscience, une clarification de ce contraste, entre temps objectif inexorable et temps vécu qui se dilate ou se contracte. Il distingue ces deux concepts, et baptise le second « durée ». Le premier, le temps objectif, est un temps spatialisé. Nous le comptons par des mouvements mécaniques (ceux de l’horloge), ou nous le représentons sur des frises. Ce faisant nous séparons les moments. Au contraire, dans la conscience, les moments sont fondus, ils se superposent partiellement les uns aux autres, constituant la « durée ».
- Mais on le voit, chez Mylène Farmer, c’est plutôt la souffrance qui fait passer le temps lentement. Dans ce cas, l’approche consistant à vouloir dilater le temps, pour mieux vivre la finitude du temps disponible, n’est donc pas satisfaisante.
Profiter de la vie
- La focalisation sur la mort qui apparaît dans son œuvre est d’ailleurs comme regrettée par Mylène Farmer dans « À force de… » : « À force de mourir / Je n’ai pas su te dire / Que j’ai envie de vivre / Donner l’envie de vivre ».
- En fait, les deux composantes sont liées : la conscience de la mort contribue, pour elle, à faire apprécier la valeur de la vie. Il convient en effet dès lors de profiter du temps dont nous disposons, de chaque instant. Ainsi, « L’horloge », poème de Charles Baudelaire interprété par Mylène Farmer, énonce : « Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues / Qu’il ne faut pas lâcher sans en extraire l’or ».
- Cette voie est confirmée dans « Du temps », où nous sommes invités à saisir les moments heureux : « […] nos chemins de vie / Parfois nous superposent ». Nous pouvons alors vivre, pleinement : « Moi je veux vivre / Aller haut / Pouvoir me dire / Que c’est beau / Mais pas / Du temps ».
Envie d’aller plus loin ?
Si vous souhaitez allez plus loin au sujet de la chanson « Du temps » de Mylène Farmer, vous pouvez réserver une séance particulière. Je vous enverrai en amont les textes philosophiques sur lesquels nous nous sommes appuyés. Nous pourrons ensuite en discuter lors d’un échange téléphonique individuel de 15 minutes. Voir tarifs et conditions.
Lors du prochain atelier, prévu mardi 24 août à 20h, nous explorerons les échos philosophiques de « C’est dans l’air ». Vous pouvez dès à présent vous y inscrire, ou me contacter si vous souhaitez plus d’informations.
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Références des textes cités
- Mylène Farmer, « Du temps », best-of 2001-2011, Requiem Publishing, Polydor, 2011.
- Mylène Farmer, « Retenir l’eau », album Désolbéissance, Stuffed Monkey, 2018.
- Mylène Farmer, « Si j’avais au moins… », album Point de suture, Isiaka, Polydor, 2008.
- Mylène Farmer, « À force de… », album Monkey me, Requiem Publishing, Polydor, 2012.
- Sénèque, Entretiens, Lettres à Lucilius [Ier siècle], éd. Paul Veyne, Paris, Robert Laffont, collection Bouquins, 2003, lettres 1 et 93.
- Henri Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience, édition critique dirigée par Frédéric Worms, Paris, PUF, collection Quadrige, 1927-2013, notamment pages 67-68.
- Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal [1857-1861], repris dans Baudelaire, Œuvres complètes, tome I, éd. Claude Pichois, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 1975, p. 81. Chanté par Mylène Farmer sur l’album Ainsi soit je…, Polydor, 1988.