Cet article propose une synthèse du Traité du Beau de Denis Diderot, initialement publié dans l’Encyclopédie. Diderot s’y emploie à caractériser le beau.
Le beau, une question de rapports
- Selon Denis Diderot, les notions fréquemment associées à la beauté, que sont l’ordre, le bon arrangement, la symétrie, la proportion, l’unité, sont « des abstractions de l’esprit » qui « viennent [initialement] des sens ».
- Il définit le beau sur cette base : il appelle « beau hors de moi, tout ce qui contient en soi de quoi [potentiellement] réveiller dans mon entendement l’idée de rapports », c’est-à-dire de relation, de proportions. Le « beau par rapport à moi » sera « tout ce qui réveille » effectivement l’idée de rapport.
- Pour autant, il n’est pas nécessaire de percevoir consciemment et explicitement ces rapports pour considérer qu’un objet est beau. D’où l’idée répandue selon laquelle le beau relèverait du « sentiment » plutôt que de la « raison ». La raison y a pourtant toujours part selon Diderot. On pourra s’en rendre compte lorsque « la complication des rapports & la nouveauté de l’objet » seront tels que « le plaisir attendra pour se faire sentir, que l’entendement ait prononcé que l’objet est beau ».
- La beauté est ainsi définie comme un pouvoir : elle est caractérisée par son effet potentiel. Par exemple, « la façade du Louvre » serait belle (au sens humain) même s’il n’existait pas d’humains pour la voir, car elle aurait tout autant la faculté d’éveiller chez des êtres semblables aux humains l’idée de rapports.
- Conséquence de cette définition par l’effet potentiel, il n’existe pas de « beau absolu » : ce qui apparaît comme beau aux humains peut bien ne sembler « ni beau ni laid » voire sembler « laid » aux membres d’autres espèces.
- Diderot introduit enfin le concept de « beau relatif » comme désignant « tout ce qui réveille des rapports convenables avec les choses, auxquelles il en faut faire la comparaison », qu’il s’agisse des peintures visant à représenter tel ou tel objet réel, ou de citations dont on ne peut apprécier la beauté qu’en en connaissant le contexte.
La diversité des opinions concernant la beauté vient de « la diversité des rapports aperçus »
- Si nous sommes parfois en désaccord à propos du caractère beau ou non de chaque objet particulier, c’est parce que nous n’avons pas tous la même manière de percevoir les rapports.
- Par exemple, il s’avère que la perception de beauté sera plus grande si l’on perçoit plusieurs rapports plutôt qu’un seul. Dans une certaine limite cependant : s’il y a trop de rapports, nous ne parviendrons plus à les percevoir ensemble. Or cette capacité de perception simultanée varie selon les individus. C’est pourquoi « selon qu’on a plus ou moins de connaissance, d’expérience, d’habitude de juger, de méditer, de voir, plus d’étendue naturelle dans l’esprit, on dit qu’un objet est pauvre ou riche, confus ou rempli, mesquin ou chargé ».
- De même, les capacités sensorielles elles-mêmes, qu’il s’agisse de la vue, de l’ouïe, varient d’un individu à l’autre, et, même pour un individu donné, d’un jour à l’autre.
- La connaissance plus ou moins grande de la nature modifie par ailleurs la capacité à juger les œuvres cherchant à représenter cette nature.
- Les différences culturelles, d’éducation, ou d’expérience peuvent aussi modifier la manière de percevoir les rapports, voire créer des associations négatives, qui altèrent les jugements sur la beauté. Par exemple, dans certaines cultures, les couleurs vives sont associées à une certaine vanité, et donc jugées défavorablement.
- Chacun juge par ailleurs différemment selon sa spécialité, notamment professionnelle. Ainsi, dans un parc, un fleuriste recherchera des fleurs singulières, tandis qu’un peintre cherchera le meilleur rendu global, incluant des considérations de lumière, de teinte, qui sont presque indifférentes au fleuriste.
- Enfin, la tendance à juger d’après la réputation de l’auteur peut aussi altérer la perception du beau, en nous faisant renoncer à exercer directement notre jugement : « Ce tableau est de Raphaël, cela suffit. »
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Édition de référence
- Encyclopédie, 1ère édition, tome 2, article « Beau ». Texte librement disponible sur Wikisource.